vendredi 4 mai 2012

La Banque mondiale

La Banque mondiale: J'ai promis de vous en reparler : le sujet mérite largement que l'on y revienne, car ce qui vient de se passer n'est pas banal. J'ai promis de vous en reparler : le sujet mérite largement que l'on y revienne, car ce qui vient de se passer n'est pas banal. Vous constaterez que le traditionnel côtoie le novateur.



Lundi 16 avril, les vingt-cinq membres du conseil des administrateurs de la Banque mondiale ont sélectionné le douzième président de l'institution : il prendra ses fonctions le 1er juillet prochain, et, comme ses onze prédécesseurs depuis juin 1946 - près de soixante-dix ans ! -, l'élu est le candidat présenté par les États-Unis. Il est de nationalité américaine, bien entendu.







Comme un seul homme, pour remercier les États-Unis d'avoir voté, l'an dernier, pour leur candidate à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI), les Européens ont renvoyé l'ascenseur et donné leurs voix à l'Américain. Le Japon, le Canada, la Corée, la Russie et quelques autres ont fait de même.



« L'ordre ancien », en vigueur depuis la création de la Banque, a ainsi prévalu une fois de plus : l'institution se donne pour président, non pas le candidat le plus qualifié, mais celui agréé par les grandes « puissances blanches » (ou assimilées), qui détiennent, à la Banque mondiale comme au FMI, plus de la moitié des droits de vote et l'essentiel du pouvoir.







Il y a cependant du nouveau, l'esquisse d'un changement :



1. Dans le passé, les États-Unis se souciaient comme d'une guigne de l'avis des autres et, assurés de faire passer leur candidat sans discussion, ils désignaient pour le poste l'homme qu'ils avaient convenance à placer. Cette fois-ci, pour le vote d'avril 2012, ils ont fait l'effort de présenter... un candidat présentable.



Il n'est pas wasp (1), comme ses onze prédécesseurs, mais d'origine asiatique : arrivé de Corée à l'âge de 5 ans, c'est un immigré « jaune ».



L'argument principal de ce médecin et président d'université (2) à l'appui de sa candidature a d'ailleurs été celui-ci : « J'ai l'expérience directe de l'aide aux pays pauvres. Ils doivent se développer économiquement et sortir de la pauvreté, comme a su le faire la Corée du Sud, le pays où je suis né. »



2. Face à ce candidat, deux autres, un Sud-Américain et une Africaine, ont fait entendre leur voix. De l'avis général, l'un et l'autre étaient plus compétents que l'Américano-Coréen et mieux qualifiés pour le poste.



3. L'Africaine, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, ministre nigériane des Finances, en faveur de laquelle s'est désisté José Antonio Ocampo, ancien gouverneur de la Banque centrale de Colombie, n'a pas franchi la dernière marche parce qu'elle s'est heurtée au pouvoir censitaire des Euro-Américains au sein du conseil des administrateurs.



Ils n'y représentent ni la majorité des cent quatre-vingt-sept pays membres, tant s'en faut, ni la moitié de la population mondiale, mais y disposent de plus de la moitié des droits de vote.

Ces hérauts de la démocratie, qui claironnent que les responsabilités doivent être confiées aux plus compétents et selon le mérite, n'ont pas hésité, toute honte bue, à défendre face au reste du monde l'usage du favoritisme et l'attachement aux avantages acquis.







Notez cependant que, parmi les Euro-Américains, ceux qui se sont ainsi mal comportés sont les gouvernants, dont Barack Obama. Et eux seuls.



La plupart des grands économistes et des spécialistes euro-américains du développement, notamment François Bourguignon, Nicholas Stern, Joseph Stiglitz et Jean-Louis Sarbib, anciens premiers vice-présidents de la Banque, se sont, à l'inverse, prononcés pour le candidat le plus compétent, non pas celui des États-Unis, qui, ayant été choisi, va présider la Banque pour cinq ans, mais l'Africaine, Mme Ngozi Okonjo-Iweala.



Le professeur Jeffrey Sachs, conseiller spécial du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), a pris la même courageuse position.

Les grands journaux euro-américains, comme The Financial Times, The Economist, The New York Times et Le Monde, ont eux aussi milité pour la candidate la plus qualifiée.



De leur côté, les cinquante-quatre pays africains se sont rangés derrière la candidate nigériane : ils ont ainsi fait preuve d'unité et de solidarité avec leur camp, comme les Euro-Américains.





Sélectionné par ces derniers, actuels détenteurs de la majorité des droits de vote et, par conséquent, du pouvoir à la Banque mondiale, le Dr Jim Yong Kim est un candidat acceptable. Il est même tout à fait possible qu'à l'expérience il soit un bon président, comme l'ont été certains de ses prédécesseurs.







Mais si la compétition pour mettre à la tête de cette institution internationale le président le plus qualifié et le plus compétent, homme ou femme, avait été une vraie compétition, saine et transparente, il n'aurait pas eu la moindre chance d'être retenu.



Mme Ngozi Okonjo-Iweala a pu dire, elle, à la face de tous : « Moi, je connais la Banque mondiale, je saurai la faire marcher et lui faire accomplir la mission qui lui est impartie. »



Les vingt-cinq membres du conseil des administrateurs savaient pertinemment que c'était vrai et qu'ils avaient devant eux, en cette Africaine noire, la candidate idéale.



Mais les instructions qu'ils devaient appliquer étaient de sélectionner la personnalité mise en avant par le président des États-Unis d'Amérique : nous étions et sommes encore dans les arrangements entre amis, le refus de la transparence et de la vraie démocratie.







Reste à espérer que le Dr Jim Yong Kim sera le dernier président de la Banque mondiale élu pour sa nationalité.



Pour qu'il en soit ainsi, les dirigeants des pays euro-américains devront cesser d'obéir aux mauvaises habitudes contractées au cours des deux derniers siècles, où ils ont été les seuls maîtres du monde et pouvaient, sans mauvaise conscience, abuser de leur pouvoir.



Et il leur faut écouter les recommandations de leurs meilleurs esprits, compétents en la matière.



MM. François Bourguignon, Nicholas Stern et Joseph Stiglitz, cités plus haut, les ont conjurés de rectifier le tir : « L'administration américaine et la communauté internationale en charge du développement doivent mettre fin au monopole désuet et contre-productif de sélection du président de la Banque mondiale en vigueur depuis 1946.



Les candidats les mieux adaptés à ce poste se trouvent désormais dans les pays en développement, où existent des dirigeants qualifiés et en même temps rompus aux pratiques du développement : de telles personnalités sont dotées d'une combinaison de qualités difficile à égaler.



Que la compétition soit ouverte, que les États-Unis et l'Europe se hissent à la hauteur de leurs déclarations lénifiantes et se comportent à l'avenir comme si cette banque était véritablement la banque mondiale. »







1. Wasp : White Anglo-Saxon Protestant (!), blanc, protestant et anglo-saxon.



2. Les onze précédents présidents étaient tantôt des hauts fonctionnaires ou des diplomates, tantôt des juristes ou des avocats, tantôt des hommes politiques.

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