vendredi 10 août 2012

Espoirs et désillusions de Mohammed, étudiant révolutionnaire à Alep - Géopolitique

AFP / Ahmad Gharabli
ALEP (Syrie) - Il a relevé le col de son polo à la manière des footballeurs. A ses côtés, une kalachnikov qu'il n'a jamais utilisée. "Je ne veux pas tuer", dit Mohammed Shadi avant de raconter l'université d'Alep en ébullition, le basculement dans la violence, la torture et ses désillusions.

Caché dans une maison, Mohammed vit au rythme des bombardements et des combats à Alep, la 2e ville du pays, où rebelles et soldats de l'armée syrienne se livrent une bataille vitale pour l'avenir de la Syrie. Son ordinateur portable n'est jamais loin sur lequel il lit, captivé, les derniers commentaires mis en ligne sur Facebook ou Youtube, là où tout a commencé pour lui il y a 16 mois.

"Dès mars 2011, j'étais sur les groupes Facebook liés à la Syrie. Nous communiquions par Skype, on s'organisait. A l'époque, je pensais que le régime serait chassé en six mois", dit tristement cet étudiant en ingénierie électronique.

La première expérience politique de ce fils d'enseignants remonte au 15 mars 2011. Ce jour-là, ils sont 400 manifestants tout au plus. Les "chabbihas", les nervis du régime de Bachar al-Assad, observent. Les policiers sont loin, à 500 mètres.

"Nous avons juste eu le temps de crier deux fois +Allah Akbar+ et les chabbihas nous sont tombés dessus, ont commencé à frapper", se souvient Mohammed.
AFP / Youtube
"Je suis rentré chez moi. J'avais peur. Je n'ai rien dit à mes parents", ajoute ce jeune homme réservé de 24 ans.

Dans les semaines qui suivent, Mohammed s'investit de plus en plus dans la contestation. Au départ, il s'agit de défendre "Aman Adjar, un bon professeur qui dénonçait la corruption et que la direction de l'université voulait muter".

Les étudiants de l'université d'Alep organisent un premier sit-in. "Il y avait même des filles" sourit-il. Rapidement, l'université devient le centre de la contestation: le "volcan d'Alep".

Mohammed taggue à la bombe les murs de l'université, de la ville. Aux examens de mai 2011, il refuse de répondre aux questions qu'il juge trop difficiles. "Nous avons déchiré les copies de l'examen +Matériaux et technologies+, sommes sortis de classe et avons incité les autres étudiants à nous imiter".

Au fil des mois, les manifestations se durcissent et les étudiants apprennent le métier. "Le matin, nous achetions des canettes de coca. Et lorsque la police balançait des gaz lacrymogènes, nous faisions rouler les canettes au sol. Les étudiants les récupéraient et s'aspergeaient le visage de coca" pour soulager la brûlure, explique-t-il.

A l'université, la révolte s'écrit sur "un mur de l'université où chacun pouvait insulter Bachar, écrire sa ville d'origine, mais que le doyen a faisait repeindre".

"Aux manifestations, on voyait bien les chabbihas, ils étaient plus vieux que nous, n'avaient pas de livres sous le bras. Et nous, nous étions bien habillés pour plaire aux filles", sourit l'étudiant.



AFP / Achilleas Zavallis

Les "chabbihas" attaquent à coups de matraques électriques, de bâtons, de couteaux. "Pour nous défendre, nous leur lancions des pierres mais ils ont commencé à utiliser des armes à feu".

Son meilleur ami, Maher, est arrêté. Il n'est libéré que neuf mois plus tard. Mohammed ne dort plus chez lui. Il change fréquemment d'endroit, squatte les matelas chez ses amis.

A la rentrée, Mohammed prend des contacts avec des "voyous" pour protéger les manifestants. "Les chabbihas les utilisaient, pourquoi pas nous ?". Il recrute une trentaine d'hommes de mains payés 20 dollars par manifestation.

"La première fois, nous avons été déçus. Nous avions donné beaucoup d'argent et ils ne sont pas venus", rigole-t-il.

En octobre dernier, il est arrêté aux portes de l'université, son ordinateur fouillé. Il est retenu et battu quatre jours par des hommes du renseignement militaire.

Quelques mois plus tard, Mohammed et 200 étudiants défilent. Il fait nuit quand les chabbihas tentent de les disperser. "Je suis parti en courant quand un coup de feu a claqué. Quand j'ai entendu le chabbiha recharger son fusil à pompe, je me suis rendu", explique-t-il.

Le jeune opposant est conduit à la Sûreté militaire: huit jours dans une cellule, entassé avec des dizaines d'autres détenus.

Chaque jour, "un homme entrait dans la pièce et gueulait: +Où est cet enculé de Shadi ?". Dans le couloir, les coups pleuvent sur Mohammed qui avance, les yeux bandés.

Il est emmené dans une pièce où il entend "des cris", puis "une voix".


AFP / Achilleas Zavallis

"Tu es prêt à parler ?", dit la voix. "J'ai répondu que je marchais dans la rue, que je rentrais chez moi", dit Mohammed.

"Bon, tu ne veux pas parler", lance l'interrogateur. Les coups tombent de nouveau sur sa tête et ses pieds.

"Il faut toujours garder la tête baissée, sinon ils frappent. L'interrogateur demandait: Qui t'a dit où se déroulait la manifestation ? Appartiens-tu à Al-Qaïda ? Qui t'a payé pour manifester ?"

Parfois, plusieurs détenus sont alignés, à genoux, les mains ligotés dans le dos, et l'interrogateur pose une question à chacun. "Si on répond mal, on prend 5 ou 10 coups de matraques sur la plante des pieds. Ensuite, il faut courir en rond", dit Mohammed.

Au bout de huit jours, l'étudiant est conduit devant un juge qui prononce sa libération. "J'ai appris qu'on voulait m'exclure de l'université, que mon nom circulait, que j'étais recherché. Alors j'ai voulu quitter le pays", résume-t-il.

Il envoie Ahmed, son frère de 21 ans, chercher son passeport à l'administration. Celui-ci est arrêté. 20 jours durant, il est torturé: matraque, coups de poing, mais aussi décharges d'électricité.

"Je veux partir, demander l'asile politique, aider la révolution mais de l'extérieur", assure Mohammed.

"Bachar finira par partir, mais même après son départ, il faudra du temps pour revenir à la paix. Entre les rebelles et les groupes islamistes, il y a beaucoup d'armes en circulation. Des armes sont distribuées à des gamins de 15-17 ans. C'est ce qui me fait peur", déplore-t-il.

AFP / YouTube

A lire aussi: le témoignage d'Iskandar Kat sur les conditions de travail des journalistes en Syrie, sur le blog AFP Making-of.

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